Eloge analytique de Factions, le mode multi de The Last of Us

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Le mode multijoueurs de The Last of Us, Factions, est souvent oublié lorsqu’il s’agit de revenir sur l’oeuvre de Naughty Dog, mais pour autant que j’ai apprécié l’aventure solo (et je l’ai vraiment beaucoup aimé), mon estime du jeu et les souvenirs les plus mémorables qu’il m’aura procuré proviennent indubitablement de son multijoueur.

Ce dernier, un deathmatch par équipes de 4 pour le mode Supply Raid auquel j’ai le plus joué, intègre intelligemment des composantes infiltration et crafting dérivées du mode solo. Cela lui permet de proposer des affrontements d’une tension sans égale, requérant tactique et coopération, où l’on peut assumer une multitude de rôles avec une grande fluidité.

Un ensemble de choix de design contribuent à rendre le jeu plus lent, plus considéré et donc plus tendu et plus tactique que d’autres.

Premier aspect, peut-être contre-intuitif: la mort n’est pas instantanée. Les joueurs ont une petite barre de vie et, quand elle est vidée, ils finissent à terre mais encore vivants, avec la possibilité de ramper à couvert pour éventuellement être ranimé par un coéquipier dans un laps de temps limité. Cela a pour conséquence de décourager les attaques inconsidérées en solitaire : en fonçant dans le tas, vous arriverez peut-être à abattre un ennemi avant de vous faire descendre, mais il est probable que l’équipe ennemie pourra ranimer votre cible, anéantissant tous vos (maigres) efforts.

De plus, la capacité des chargeurs des armes est limitée, et l’on peut tout juste descendre un ennemi avant de devoir recharger et d’être vulnérable, ce qui dissuade également de faire cavalier seul. Sans oublier que le nombre de munitions et de ressources est également réduit, et que l’on ne peut donc se permettre de les gaspiller en attaquant à tout va sans le regretter par la suite.

Du reste, attaquer, c’est s’exposer. Un radar affiche en effet la position relative des coups de feu tirés (hors armes silencieuses). Faire feu c’est alors alerter toute l’équipe adverse qui risque de vous tomber sur le dos, donc il vaut mieux être sûr de son coup avant de s’engager, et réfléchir sa décision. Le rush est de même découragé, car le sprint fait également apparaître sur le radar et est soumis à une temporisation stricte qui limite son usage.

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Tout cela concourt à privilégier les attaques plus statiques, en embuscade, pour maximiser ses chances de réussite et de survie. Avec plusieurs armes visant un même ennemi, il n’a plus l’opportunité d’en réchapper, et si l’on en vise plusieurs, on favorise une déroute adverse. Le nombre d’attaquants peut aussi dissuader les ripostes d’ennemis isolés.

Le joueur est à même de mettre en place ces embuscades car il peut planifier les affrontements grâce à des informations de différentes sources. Tout d’abord, la silhouette de vos coéquipiers apparaît tout le temps à l’écran, permettant de savoir s’ils sont en danger ou non. Le radar mentionné précédemment localise les joueurs qui tirent ou sprintent. Un mode écoute, hérité du mode solo, révèle pendant quelques secondes les silhouettes ennemies à proximité, même à travers les murs. Enfin, le jeu permet de marquer un ennemi d’un clic pour peu qu’un joueur l’ait en visuel, affichant directement sur l’écran de tous ses coéquipiers son emplacement et identifiant son arme à voix haute (un exemple de « bark » lors d’un marquage : « Attention, il a un fusil à pompe ! »).

Toutes ces données permettent d’anticiper les mouvements ennemis, de prendre des positions avantageuses en couverture ou en hauteur en conséquence, et de piéger le terrain avec des bombes de proximité. On est loin des courses effrénées et des affrontements réflexes d’un Call of Duty.

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Cela induit un jeu plus lent, d’autant que l’effectif réduit des équipes à 4 joueurs et le timer de respawn rendent chaque mort handicapante pour l’équipe qui se retrouve alors en infériorité numérique, incitant donc à la prudence. La taille des arènes de jeu aidant, il y a au final fréquemment des périodes plus calmes, durant lesquelles la pression monte avec l’appréhension d’un guet-apens.

On pourrait craindre que les joueurs campent, et restent indéfiniment planqués dans un recoin sans prendre le moindre risque. Cependant, comme dans les meilleurs jeux du genre, le level design est travaillé pour toujours permettre de déloger ces scélérats. Mais surtout, les joueurs sont incités à se déplacer pour récupérer de précieuses munitions sur les cadavres des ennemis occis ou dans les caisses à outils disposées en des lieux fixes plus ou moins exposés. Ces dernières, réapprovisionnées à intervalles réguliers, contiennent également des matériaux qui servent à confectionner trousses de soin, bombes, cocktails Molotov ou surins, qui s’avèrent souvent cruciaux. Rester trop longtemps au même endroit, c’est se priver de ces atouts, et laisser l’équipe adverse se constituer un stock décisif.

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A noter que dans un souci d’équilibrage, ces caisses à outils sont instanciées, c’est à dire que chaque joueur peut récupérer les munitions et ressources qu’elles renferment sans en priver les autres joueurs. Le jeu va même plus loin en faisant de ces caisses une variable d’ajustement : celles de l’équipe qui domine seront moins pourvues, alors que les adversaires moins en jambe trouveront pléthore de ressources voire des armes toutes faites (machettes, bombes).

Comme dans le solo, les joueurs sont libres de confectionner ce qu’ils veulent avec les ressources accumulées, comme une bombe fumigène pour masquer leurs déplacements, ou une planche cloutée pour les assauts au corps à corps, afin de répondre à une situation ou pour coller à leur style de jeu favori. Celui-ci peut aussi s’exprimer à travers les capacités et l’équipement choisi avant le match. Tous les joueurs ont accès de base à la réanimation de leurs coéquipiers et au marquage des ennemis, mais ceux-ci peuvent être améliorés (réanimation bien plus rapide, avec une barre de vie remplie, marquage plus long, affichage des silhouettes et des ennemis proches). D’autres compétences sont uniques, comme la possibilité de soigner les coéquipiers, se soustraire au mode écoute adverse, récupérer des objets bonus à donner à son équipe, étendre le champ d’action des bombes ou augmenter les munitions récupérées sur les ennemis.

Combinées avec le choix d’armes, du fusil à lunette, en passant par le semi automatique ou le fusil à pompe, ces compétences permettent très simplement de façonner une classe fluide qui nous convienne. Il est aussi possible de changer d’équipement de donc de classe en cours de jeu, pour s’adapter à la situation et toujours récompenser notre style de jeu.

En effet, le jeu nous donne des points à l’accomplissement de certaines actions, comme la mise à terre ou l’élimination d’un ennemi évidemment, mais aussi des tâches qui participent au collectif, comme marquer les ennemis, soigner ses alliés, ou leur distribuer des objets. Pas besoin d’éliminer le plus d’ennemis pour être récompensé, les soigneurs sont ainsi régulièrement en haut du classement, reconnaissant leur contribution essentielle.

Les points reçus servent de monnaie pour une boutique disponible en cours de match, permettant d’agrandir le chargeur de ses armes, de racheter des munitions, ou même de se procurer une armure temporaire permettant d’essuyer quelques tirs. Les prix sont progressivement plus élevés au fil des achats, donc l’équilibre est maintenu même quand une équipe domine et accumule les points, mais cela apporte un bon contrepoids aux caisses à outils moins généreuses.

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Cela aboutit donc à des matchs où chaque équipe patrouille le terrain presque en formation (pas trop resserrée pour éviter les armes à effet de zone comme les Molotovs), en quête des ressources des caisses à outils, à l’affût d’une embuscade, utilisant le mode écoute pour localiser les adversaires et si possible leur tomber dessus par surprise en anticipant leur déplacements par une bonne connaissance du niveau. S’ensuit alors généralement un déferlement de violence, avec échange de tirs, lancers de bombes, tentatives de contournement et tirs de barrage, replis forcés et soins in extremis en couverture. Chacun trouve sa place, entre les snipers marquant de loin les ennemis, les rushers au contact, et les secondes lignes soignant ou jouant un rôle d’artilleurs, passant d’un rôle à l’autre de façon très fluide d’un affrontement au suivant.

Il y a même la place pour des techniques avancées comme laisser des bombes en évidence pour que leur désamorçage vous renseigne sur la progression ennemie, rusher pour attirer l’ennemi dans un piège ou ne pas achever sciemment les ennemis à terre pour qu’ils rampent vers leurs alliés en trahissant leur position. La connaissance du terrain est aussi un atout indéniable, permettant de connaitre les chemins de contournement, les entrées à surveiller et les angles morts, les points de ressources et de spawn probables.

Tout cela peut amener à un jeu difficile d’accès pour les débutants, qui plus est quand le rythme du jeu est si différent des autres shooters. Il est ainsi préférable de jouer en équipe, et de suivre des joueurs plus expérimentés. Cela permet d’apprendre quand attaquer, quand tenter la réanimation, pour ne pas se retrouver une proie facile isolée, ou pire, ruiner les tactiques d’approches silencieuses de ses coéquipiers. Heureusement que le tir allié est réduit aux flammes des cocktails Molotov…

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Ces réserves mises à part, Factions est vraiment une proposition de jeu exceptionnelle, mettant en avant une approche plus lente, plus réfléchie et tactique, qui permet des moments de haute intensité.

C’est parfaitement illustré que par le Last Man Standing qui termine chaque match. Lorsqu’une équipe est réduite à un joueur, ce dernier se voit donner une dernière chance : toutes les caisses à outils renferment une bombe et une machette et quantité de munitions et ressources, le radar indique la position des ennemis, afin de lui permettre, seul contre tous, de retourner spectaculairement la situation. Acculé de toutes parts mais armé jusqu’aux dents, il faut rivaliser d’ingéniosité et de talent pour s’en tirer mais le jeu donne un coup de pouce appréciable qui permet de mettre un peu de piment et de panache dans une fin de match qui serait sinon jouée d’avance.

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Pour toutes ces raisons, The Last of Us Factions restera mon expérience de jeu multijoueurs de référence. Elle a pris d’assaut soirée après soirée de mon groupe d’amis pendant plusieurs années pour notre plus grand plaisir. C’est aussi pourquoi l’annonce que The Last of Us Part II n’inclurait pas de multijoueurs a autant choqué et blessé. Même si un multijoueurs séparé a désormais été confirmé, les détails de fond et de forme restent inconnus, et qui sait si le public suivra une sortie indépendante d’un studio dont l’offre multijoueurs reste trop méconnue, dans un contexte d’offre free-to-play très fournie ? Qu’en sera-t-il de nous, qui avons eu la chance de découvrir et d’apprécier ce chef d’oeuvre de jeu en ligne ? We’ll always have Factions.

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